L'histoire de la ville de Montdidier : sélection d'extraits (réquisitoire)
Victor de Beauvillé (1817-1885) est l'auteur de la célèbre Histoire de Montdidier (1857) en 3 volumes in-4°.
Dans ce prodigieux ouvrage, Victor de Beauvillé dénonce sans modération les problèmes de son époque. Il est conscient de la dureté de ses propos : « Peut-être trouvera-t-on mes paroles bien sévères ».
Il faut néanmoins relativiser son réquisitoire car il a été écrit il y a maintenant un siècle et demi. Il n'en est pas moins vrai que certains de ses reproches sont parfaitement transposables de nos jours...
Extrait | Accès |
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De toutes les misères qui affligent l'Humanité, l'obligation de faire des recherches à la Bibliothèque nationale n'est pas une des moindres ; il faut un fonds de patience inépuisable pour surmonter les contrariétés de toute nature qu'on y éprouve. | T. 1, p. 291 |
Notre époque a été fertile aussi en prévaricateurs insignes : n'avons-nous pas vu des personnes revêtues des plus hautes dignités égaler en trafics honteux les malversations d'un obscur subdélégué ? Chaque jour la bassesse devient plus arrogante, l'ignominie plus superbe, et par sa coupable indifférence, la nation encourage toutes les turpitudes. | T. 1, p. 310 |
Quelle différence entre les députés de 1789 et les représentants de 1848 ! Les uns et les autres étaient cependant issus du suffrage universel. | T. 1, p. 335 |
Il releva la dignité de maire, et l'environna d'une considération que ses successeurs n'ont pas toujours su lui conserver. | T. 1, p. 424 |
Si notre ville ne marche qu'à pas lents, l'administration des ponts et chaussées ne va guère plus vite | T. 1, p. 446 |
On ferait plus pour le repos et la tranquillité du pays en réduisant de moitié le nombre et le traitement des fonctionnaires qu'en votant une multitude de lois qui se heurtent, se confondent et n'aboutissent à rien. | T. 1, p. 447 |
Le suffrage universel fut encore dénaturé en 1848 par l'adoption du scrutin de liste ; ce mode de vote est complétement dérisoire. C'est la négation absolue du droit électoral ; l'électeur ne choisit plus ; on lui impose des candidats, et, s'il ne veut perdre son suffrage, il est obligé de les accepter. | T. 1, p. 464 |
Aussi notre pays est-il en retard, si on le compare avec ceux qui l'avoisinent. Alors que tout est en progrès autour d'elle, la Somme forme comme un point d'arrêt entre la Flandre et Ile-de-France ; | T. 1, p. 466 |
Il est à souhaiter que les élections ne se reproduisent pas trop fréquemment, car elles ne servent qu'à réveiller les haines et à jeter la division dans les esprits. | T. 1, p. 481 |
En 1793, les cloches de Saint-Pierre furent envoyées à la fonderie et transformées en gros sous et en canons ; peut-être celui qui avait repoussé Jean de Werth, reprenant sa première forme, servit-il, après avoir longtemps réjoui les oreilles de nos pères, à foudroyer les Autrichiens dans les plaines de Fleurus : que cette pensée nous console de la perte de la sonnerie de Saint-Pierre. | T. 2, p. 11 |
Combien de prétendus grands artistes de la capitale sont loin d'avoir le talent de cet habile et modeste statuaire ! | T. 2, p. 68 |
Lorsque l'on compare ce qui se passe dans une petite ville comme Montdidier avec ce qui a lieu dans la capitale, on est frappé de la différence, et combien la comparaison n'est elle pas à notre avantage ! A Paris, élève-t-on un monument, ouvre-t-on un quartier, élargit-on une rue, ou remue-t-on un pavé, de suite la France est forcée d'y prendre part : on pressure le contribuable des départements, qui ne profite en rien de ces améliorations ; on fait et refait l'ouvrage a deux et trois fois, comme si les bévues des architectes étaient chose sans conséquence et peu coûteuse. Dans une humble cité comme la nôtre, au contraire, que voyons-nous ? Voici un portail qui, avec les accessoires indispensables, va coûter près de 40,000 fr. ; de simples particuliers en font les frais. Le gouvernement n'a pas donné un centime, et l'administration des ponts et chaussées, on aura peine à le croire, a été jusqu'à refuser quelques centimètres de terrain nécessaires pour régulariser la façade. | T. 2, p. 69 |
Ce n'est pas seulement l'église du Sépulcre qui a souffert de ce vote inintelligent, c'est encore la ville tout entière, car elle est la première intéressée à l'embellissement de ses édifices, et ceux qui la représentent, en la privant d'un subside opportun, ont méconnu ses véritables intérêts et très-mal compris leur mandat. Combien il est pénible de voir les personnes qui devraient donner une impulsion salutaire agir précisément en sens inverse, et, soit par rancune, par jalousie ou manque de goût, se faire un triste plaisir d'entraver une entreprise qu'elles auraient dû encourager de tous leurs efforts. | T. 2, p. 70 |
Pour obtenir droit de bourgeoisie et jouir des prérogatives qui y étaient attachées, il fallait présenter des garanties suffisantes, et justifier qu'on n'abuserait pas impunément de l'hospitalité. Le nouveau membre de la commune devait, dans le délai d'un an, bâtir une maison, acheter des vignes ou apporter assez de mobilier pour qu'au besoin la justice pût prendre ses sûretés : dispositions pleines de sagesse, qui ne pouvaient que contribuer, la première surtout, à l'augmentation de la ville. Ne serait-il pas opportun de remettre en vigueur cette mesure, tombée en désuétude depuis des siècles ? Elle aurait pour résultat de ne conférer le droit de citoyen qu'à des gens d'une moralité reconnue, et d'empêcher les pauvres et les mendiants de s'établir à Montdidier, attirés uniquement, comme ils le sont aujourd'hui, par l'espoir de vivre aux dépens des bourgeois et des établissements de charité. | T. 2, p. 114 |
La sévérité des lois allait, on le voit, en diminuant. D'un autre côté, si la justice s'était adoucie, les mœurs publiques étaient aussi devenues meilleures. | T. 2, p. 141 |
Avec quel plaisir le maire aimait à se montrer en public, accompagné des échevins, enveloppés comme lui de grandes robes noires à larges manches, dont les plis flottants suffisaient à peine à contenir leur importance ! | T. 2, p. 156 |
Ainsi disparaissent les monuments du passé, victimes souvent de l'ignorance de ceux qui devraient veiller à leur conservation. | T. 2, p. 203 |
La diminution du nombre d'arrondissements, et par suite la réduction des fonctionnaires, seraient un bienfait incontestable. | T. 2, p. 214 |
Les gouvernements qui depuis trois quarts de siècle se sont succédé en France, loin de diminuer le nombre des fonctionnaires, l'ont augmenté dans une proportion effrayante | T. 2, p. 214 |
Les peuples dégénérés, tels que les E********, les P********, les I*******, qui n'ont de nation que le nom, sont dévorés par une nuée d'agents insatiables ; la France est entrée fatalement dans la même voie. L'Angleterre, où la sève politique et l'esprit industriel sont si vivaces, compte peu de fonctionnaires ; l'Amérique du Nord, dont la population sans cesse croissante a tout l'entrain et la vigueur de la jeunesse unis à la maturité et à l'expérience de l'âge mûr, en a moins encore. Chez ces nations, point de parasites ni d'oisifs ; l'agriculture est encouragée, le commerce honoré ; l'on n'y croit pas sottement que les fonctionnaires ont le monopole de l'intelligence et du savoir ; qu'en dehors d'eux il n'y a que des gens incapables et sans moyens ; ils ne forment pas une caste, objet exclusif de l'adulation servile d'une multitude ignorante : là, toutes les professions sont estimées, tous les arts considérés ; le travail seul est en honneur. Aussi ces nations sont-elles arrivées au faîte de la puissance ; l'Angleterre et les États-Unis se partagent l'empire du monde. Si nous voulons entrer en lice avec eux, suivons leur exemple, et imitons leur gouvernement dans ce qu'il a de bon, de rationnel. | T. 2, p. 215 |
L'arrondissement de Montdidier a eu rarement à se féliciter du talent des personnes appelées à le diriger ; | T. 2, p. 221 |
Les sous-préfectures ne servent qu'à retarder l'expédition des affaires et à multiplier les lenteurs bureaucratiques ; | T. 2, p. 221 |
Au lieu de restreindre le nombre excessif des emplois publics, on les multiplie et on augmente les appointements ; c'est propager l'incendie au lieu de l'étouffer. Le nombre des fonctionnaires, en 1854, s'élevait, d'après le rapport fait au corps législatif, à deux cent trente mille, coûtant au budget trois cents millions de francs ! C'est une lèpre effroyable qui menace de dévorer toutes les ressources de l'État, sans compter les retraites, dont le chiffre toujours croissant aggrave encore les charges qui pèsent sur le pays. Le désir immodéré des emplois publics est le fléau de l'époque. Le pouvoir croit s'attacher les fonctionnaires en les gorgeant de faveurs : illusion déplorable ! Les fonctionnaires n'ont jamais sauvé un gouvernement ; ils ont des félicitations pour tous et ne pensent qu'à eux ; l'histoire, depuis soixante ans, en a fourni assez d'exemples ; bien aveugles les souverains qui comptent sur la fidélité de leurs salariés. | T. 2, p. 222 |
Qu'on retranche la moitié des fonctionnaires, et qu'on réduise leur traitement : je garantis l'infaillibilité du remède : l'expérience au moins ne sera pas coûteuse. | T. 2, p. 222 |
On parle d'éclairer le peuple, de le moraliser, et ceux qui devraient lui faciliter les moyens d'apprendre à réformer ses mœurs, à régler sa conduite, sont les premiers à lui refuser les moyens d'y parvenir. On prêche la classe indigente le respect des lois, l'obéissance à l'autorité ; on l'engage à supporter avec patience les épreuves pénibles auxquelles la Providence l'a condamnée ; on n'est point avare de belles paroles, de consolations doucereuses, de flatteries, si le besoin l'exige ; mais prouver par des actes l'intérêt qu'on affiche , c'est ce que l'on se garde de faire. | T. 2, p. 240 |
Les hôpitaux et établissements de charité donnent lieu à des abus ; là où ils existent, une partie de la classe ouvrière, certaine d'avoir un asile et d'être soignée en cas de maladie, ne contracte aucune habitude de prévoyance et d'économie, on en a un exemple bien remarquable à Paris. | T. 2, p. 273 |
Les pauvres de Montdidier, assurés de ne jamais manquer du nécessaire, ne tentent aucun effort pour améliorer leur sort. Si la besogne leur manque, comme quelques-uns le disent faussement, que ne vont-ils en chercher au dehors ? En voit-on utiliser leur force et leur jeunesse dans les grandes villes, comme font les habitants de la Marche et du Limousin, ou chercher fortune au loin, comme ceux de l'Auvergne et du Béarn ! Non. Au moment où les travaux de la campagne réclament le plus de célérité, à l'époque de la moisson, on n'en trouverait pas un pour travailler aux champs ; les cultivateurs sont obligés de faire venir des Belges afin de hâter la récolte, et, pendant ce temps, l'entrée du bureau de bienfaisance et la porte des particuliers sont assiégées par une populace avide et paresseuse. | T. 2, p. 273 |
La politique envahit alors le domaine des pauvres ; on voulut transformer les établissements charitables en machines électorales, y puiser les éléments d'une popularité éphémère, et faire le généreux avec la bourse d'autrui. | T. 2, p. 276 |
Le caractère charitable des habitants et l'opulence des établissements publics ont nui à la ville ; ils ont involontairement empêché le commerce d'y prospérer, l'industrie de s'y établir ; la classe inférieure a perdu le goût du travail. Que l'on compare la position des ouvriers de Montdidier à celle des ouvriers du Santerre : quelle différence ! Là, pas d'hôpital, d'Hôtel-Dieu, de bureau de bienfaisance ; cependant l'industrie y fleurit, et fait chaque jour de nouveaux progrès. Ce commerce de bonneterie qui enrichit nos voisins, Montdidier en était autrefois en possession ; nous nous en sommes laissé dépouiller sans même essayer de soutenir la concurrence. Où sont nos fabricants ? Que sont devenus ces ateliers de métiers à bas, autrefois si renommés ? Nous n'en avons plus un seul : les secours trop multipliés ont rendu les ouvriers indolents, insubordonnés, et mis les patrons dans l'impossibilité de les employer. | T. 2, p. 279 |
Les plantations qui bordent les routes d'Amiens et de Compiègne rappellent l'époque, féconde en améliorations, où la Picardie avait à sa tête des hommes d'élite comme MM. d'Agay et Chauvelin ; mais depuis, sous l'administration bien différente de M. Thévenin de Tanlay, ces belles plantations furent impitoyablement mutilées sous le prétexte dérisoire que l'extrémité des branches dépassait les fossés de la route ; ce fut un préjudice immense causé à l'agriculture. Les tracasseries de tout genre suscitées aux propriétaires les ont détournés de l'idée de planter sur leur terrain, et les routes nouvelles, privées d'ombre et de verdure, présentent l'aspect le plus monotone. | T. 2, p. 308 |
Il est vrai que, du temps de Philippe-Auguste, les princes ne faisaient pas aussi bonne chère que les simples bourgeois de nos jours. | T. 2, p. 318 |
Il est digne de remarque que plus une localité a d'importance, plus on cherche à lui en donner. On fait tout pour les grandes villes, rien pour les petites. Quelques cités ont le privilége d'accaparer les faveurs du gouvernement, pour elles le budget est inépuisable ; quant aux autres, on ne se soucie guère que de la cote de leurs contributions. | T. 2, p. 327 |
En France, on s'engoue malheureusement avec une facilité extrême de certains hommes. On a fait aux ingénieurs des ponts et chaussées une grande réputation de savoir : est-elle bien méritée ? Parce qu'ils sont sortis de l'École polytechnique, on les tient, sans plus ample information, pour fort capables. Mais, parmi les jeunes gens admis à cette école trop vantée, il en est beaucoup qui n'ont reçu qu'une instruction tronquée : comme dans les examens on accorde aux sciences une prépondérance excessive, on bourre de mathématiques la tête des élèves, et l'on arrive à leur faire regarder comme secondaires toutes les autres études, même celle des beaux-arts, dont la connaissance approfondie leur serait cependant si nécessaire. Nous n'exagérons pas. Voyons les ingénieurs civils et militaires sur le terrain, et jugeons-les à l'œuvre. | T. 2, p. 331 |
Le génie accomplit chaque jour et sans remords des actes de vandalisme comparables à ceux des temps révolutionnaires. Les châteaux d'Avignon, de Nantes, de Saint-Germain, de Blois (avant sa restauration), et tant d'autres palais convertis en casernes et affreusement mutilés, sont là pour garantir la vérité de notre assertion. Les ingénieurs des ponts et chaussées paraissent également possédés de la rage de détruire. La démolition de la porte d'Enfer à la Neuville-le-Roy, département de l'Oise, est un de leurs derniers exploits. Ce monument, qui remontait au règne de Philippe-Auguste et était une des pages historiques les plus curieuses de notre province, fut abattu en 1856, et sacrifié sans miséricorde à la loi draconnienne du profil et du niveau de surface. Quand, il y a près de sept cents ans, l'époque où florissait Robrert de Luzarches, l'immortel architecte de la cathédrale d'Amiens, un maître de I' œuvre, son confrère peut-être, éleva l'enceinte fortifiée de la Neuville-le-Roy, il ne soupçonnait pas qu'un jour viendrait où la porte d'Enfer, témoin de tant de siéges et de passes d'armes, serait rasée impitoyablement pour avoir été trouvée trop étroite de quelques centimètres ! Oh ! les corps savants ! | T. 2, p. 331 |
Ceux qui ont émis un pareil vote sont bien coupables : c'est ainsi que les villes restent stationnaires et se nuisent à elles-mêmes par la faiblesse et le mauvais vouloir des personnes dont la mission est d'imprimer aux affaires une direction intelligente. Malheureusement ce sont des fautes qu'on ne répare pas facilement, et les générations qui suivent sont obligées de souffrir des erreurs de celles qui les ont précédées. | T. 2, p. 344 |
L'ouvrier, dont le salaire a décuplé, n'est pas plus à son aise qu'il ne l'était jadis : tout a subi une hausse proportionnée. Le manœuvre qui gagne aujourd'hui 1 fr. 50 cent. est aussi nécessiteux que celui qui recevait 2 sols il y a trois cents ans ; il est peut-être même plus à plaindre, car il s'est créé des besoins que l'autre ignorait. Ce serait bien inutile de faire ici le procès à la pipe et au cabaret : l'ordre et la tempérance sont deux qualités malheureusement antipathiques à la grande majorité de la classe ouvrière. | T. 2, p. 347 |
En France, il faut le dire, la classe élevée ne donne pas, au peuple l'exemple du travail, et la classe intermédiaire, qui devrait mettre le commerce et l'agriculture en honneur, trop souvent fait défaut au rôle qu'elle est appelée à remplir. A peine les personnes qui se livrent aux professions agricoles et industrielles ont-elles commencé à faire fortune qu'elles se hâtent de changer de condition ; rarement trois générations suivent la même carrière : aussi, tandis que chez un peuple voisin on voit prospérer la culture et se développer un commerce qui embrasse le monde entier, chez nous, au contraire, à quelques exceptions près, on ne rencontre que des laboureurs peu aisés et de timides commerçants. | T. 2, p. 348 |
La France ressemble à l'empire romain dans ses derniers jours ; le tableau que Lactance a tracé de la décadence romaine sous Dioclétien présente une analogie frappante avec ce qui se passe autour de nous : « Bientôt, » dit-il, « le nombre des hommes salariés surpassa tellement celui des contribuables, que, les ressources des colons étant épuisées par l'énormité des impôts, les campagnes furent abandonnées, et les champs cultivés se changèrent en forêts. Puis, pour semer partout la terreur, les provinces furent aussi fractionnées, et sur chaque pays, sur chaque ville, vinrent s'abattre de nombreux gouverneurs, suivis d'employés plus nombreux encore, les percepteurs, les inspecteurs du domaine, les vicaires des préfets. Or de tous ces fonctionnaires les actes civils sont très-rares, mais les condamnations, les proscriptions fréquentes, et les exactions de tout genre souvent répétées, c'est trop peu dire encore, continuelles, et dans ces exactions même, d'insupportables abus. » | T. 2, p. 348 |
La fureur des emplois publics détourne beaucoup d'hommes des professions utiles. On rougit de la ferme modeste, de l'humble boutique où l'on a reçu le jour : le père tenait la charrue, le fils trouve que c'est indigne de lui ; il veut faire figure à la ville, être avoué ou notaire. Son fils, à son tour, méprisera l'étude paternelle, et voudra être fonctionnaire ; il n'aura point de repos qu'il n'ait l'habit brodé et l'épée au côté. On devient un être vaniteux, famélique, envieux, sans cesse à l'affût d'un décès ou d'une démission. Que de frelons usent ainsi leur existence à solliciter les gens dont ils ont besoin, vivant aux dépens de la société qui les défraye, eux et leur famille. | T. 2, p. 348 |
Montdidier n'a aucun commerce : rien ne l'anime, rien ne le vivifie ; cependant, depuis peu, l'établissement de la fabrique de sucre est venu le tirer de sa langueur habituelle. La ville est-elle dans des conditions différentes de celles des pays qui l'environnent ? Les cantons de Moreuil et de Rosières sont des centres considérables d'industrie : la fabrication des tissus de laine, la bonneterie, la ganterie, y donnent lieu a un mouvement d'affaires très-important. Ces cantons ont-ils sur notre cité des avantages particuliers ? Sont-ils en possession de cours d'eau puissants, de chemins de fer, de routes fréquentées ? Non. Le Santerre est dépourvu de ces avantages, et cependant il est peu de contrées aussi industrieuses. Nous ne voulons pas revenir sur un sujet trop pénible, et exposer de nouveau les causes de notre infériorité ; nous avons eu déjà l'occasion d'en parler dans divers endroits de cet ouvrage. Les critiques, quelquefois rigoureuses, que nous avons été dans le cas de faire, sont le résultat d'un examen attentif ; les appréciations sur les habitudes et les défauts d'une partie de la population ne sont pas le fait d'un esprit chagrin, d'un censeur morose, elles nous ont été inspirées par un sentiment d'affection profonde pour notre pays, et par le désir sincère de le voir entrer dans une voie meilleure. | T. 2, p. 348 |
A de rares exceptions près, on ne peut plus vivre et mourir tranquillement dans le pays où l'on est né : le déplacement est une nécessité de notre époque, une condition indispensable d'existence pour un grand nombre d'individus. Les petites villes sont l'objet d'un dédain presque universel, et tendent à devenir l'humble apanage de quelques fonctionnaires, ou à servir de lieu de retraite à des cultivateurs qui viennent y chercher le repos : ce ne sont pas là des éléments suffisants pour ressusciter un pays, lui donner de l'éclat et du mouvement. Les fonctionnaires, qui devraient donner l'exemple et faire quelques frais, s'en abstiennent rigoureusement et vivent à l'écart : leur manque absolu de représentation est aussi une des causes de la décadence de la société. Montdidier, il faut l'avouer, est une des villes dont le séjour présente le moins d'attrait : plus de distractions, point de promenades agréables, pas d'environs. On ne saurait y demeurer sans avoir une occupation, et même en travaillant il est difficile d'y vivre commodément. Les grandes villes ont tout accaparé : les plaisirs, les ressources y abondent, et la vie n'est pas plus chère qu'ailleurs ; il n'y a point de compensation possible, et, avant cinquante années, Paris comptera deux millions d'habitants. | T. 2, p. 406 |
Les règlements concernant la voirie sont depuis longtemps mis en oubli : tous les jours ils sont violés audacieusement sons les yeux de l'autorité, qui se rend complice de ces infractions. Cette faiblesse coupable est une des causes qui retardent l'embellissement de Montdidier ; on laisse reconstruire des masures qu'on devrait jeter bas impitoyablement ; | T. 2, p. 416 |
L'unité est certainement une belle chose ; mais avec cette uniformité maussade qui règne sans partage sur la France, qui fait que toutes les villes ont l'air d'être jetées dans un même moule, le caractère distinctif de chaque pays tend sans cesse à disparaître, et, dans peu d'années, l'histoire des villes de province deviendra presque impossible. | T. 3, p. 133 |
L'arrondissement de Montdidier aurait grand besoin d'être représenté en haut lieu par un homme intelligent, actif, dévoué aux intérêts du pays. | T. 3, p. 147 |